René Lovy ou la métaphysique de parmentier
D’où venons-nous? qui sommes-nous? où allons-nous? Triple question vieille comme Aristote, peaufinée, ciselée à travers les âges par les philosophes humanistes jusqu’à l’usure contemporaine: disgrâce programmée par la dictature de la nouvelle trilogie, coût – marché – rendement, qui relègue sa noble rivale aux oubliettes et autres lieux de moisissure. C’est là qu’un visionnaire prénommé René va la creuser.
Ratatinée, cavée d’yeux noirs, épuisée de germes au terme de sa carrière commercialisée, plastifiée, sanitarisée, génétiquement optimisée, la dépouille du tubercule devient son médium à lui, boule de salut, matériau où s’appuyer au fond de la détresse des temps. Il pose sur elle son écriture comme jadis les philosophes sur le parchemin, il y imprime les signes de son désarroi, de sa révolte, de son ironie. Religieusement, c’est-à -dire avec une infinie piété.
Certains adorent le scarabée, ou érigent des oratoires pour célébrer la perfection de l’œuf. Lovy le bien nommé est des leurs: la boule originelle le fascine. Mais c’est dans sa déchéance et non dans la perfection que l’ovale racine l’intéresse. Elle est ceinte de promesses, brins, feuilles, fleurs et senteurs, fruits secrets et frais tubercules. Renaissance en catacombe. La mort de l’ove embrasse tous les deuils, nid, cocon, matrice, grenade éclatée, forums avortés, lunes violées, enfants abusés, charniers inconnus, planète déboussolée. L’ove de terre, port d’amour. Combien coûte une vie? Le cynisme économique inquiète de plus en plus les médecins, et certains voient venir le jour où l’on dira à tel vieux ou malade: «Vous coûtez trop. Le bonus est épuisé. Il vous faut mourir. Ou payer.» Vieille patate, va!
Lovy la sauve de son regard. Il la dote d’une existence humaine. Il la baigne dans l’huile, lui présente un miroir qui l’élève. Identité, dignité, unicité pathétique ou cocasse. Solution. Emergence. Assomption voire Transsubstantation ne surprendrait point. Seules ou en collectivités, agglomérat, quadrillage, essaim, il les saisit au fil du vol, à l’équerre du panneau, au rabougri d’une vieille planche. Tous crient en silence leur misère et la nôtre, notre éternité et la leur. Comme font depuis la nuit des temps les particules de matière dans leur danse brownienne, ainsi apparaissent sous l’objectif ces amibes bistres assumées par le peintre, grandies par sa tendresse, homoncules lâchées dans l’espace sans fond qui nous emporte à l’heure de notre pourriture, patatommes que nous sommes. Mais dans la mutuelle Lovy, notre bonus ne saurait s’épuiser, car l’imagination est au pouvoir..